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La Brocante aux Chimères
22 février 2007

La Brocante aux Chimères - Paul d'Ivoi

La Brocante aux chimères


Paul d’Ivoi








21 février 2007.



Peu importe la ville où survient la rencontre, capitale ou province… Le terroir pourtant, convient davantage pour ce genre de rendez-vous. Les blasés de tous poils se comptent encore sur les doigts de la main et l’on y rencontre, parfois… Une nature humaine heureuse, la catégorie infiniment respectable des naïfs, de ceux dont je me réjouis de faire partie : les extasiés d’un rien, d’un rêve, d’une chimère…

Alors campons le décor… Une boutique pimpante à l’angle de la rue Montempoivre et de la rue du Danger, la ville s’appellerait St-Firmin-Les-Deux-Secrets… Je suis sous l’enseigne au message ésotérique : « Goncourt Capharnaüm ».Lorsque l’on pousse la porte, une clochette aigrelette s’anime, il y a toujours une clochette aigrelette dans les boutiques pimpantes… C’est un ensemble incontournable… C’est l’heure incertaine que l’on appelle midi, le matin s’accroche aux trottoirs de toute sa lumière et l’après-midi pousse le bout de son museau aux détours des terrasses ombragées et populeuses… Il y a de la poudre d’or qui s’élève doucement dans l’espace embaumée, encaustique et vieux papier… Frères jumeaux d’une ambiance surannée… Couple indispensable au bouquiniste, le petit plus… Duo essentiel au décorum, ce que sont arsenic et vieilles dentelles pour le crime suave…

Il est là, perché sur un rayon peint en bleu, légèrement de guingois, on dirait qu’il va tomber… Il m’attendait, je pense, prêt à partir… Sur sa couverture passée, son identité énigmatique se décline : « Le Docteur Mystère ».

Paul d’Ivoi… D’abord Paul d’Ivoi a-t-il existé ? Car il y a eu plusieurs générations d’écrivains d’Ivoi, on était d’Ivoi de Père en fils… Celui qui nous intéresse était pour l’état-civil Paul Deleutre et comme bon nombre de ses confrères de l’époque il fut journaliste pour quantité de feuilles de l’époque. Ses romans sont un peu oubliés à notre époque de haute technologie, et il n’est pas connu comme son modèle Jules Verne, dont il n’a pas la valeur, soyons juste… Là où Jules Verne s’adresse aux premiers de classe, Paul d’Ivoi tente d’intéresser les rebelles du fond de cours. Ceux qui dessinent de fabuleuses aventures dans les marges de leurs cahiers… Les rêveurs du club très fermé des cancres intrépides… Eternels chiches capons auxhorizons téméraires, qui malheureusement vont mourir par milliers dans les tranchées boueuses de l’enfer de 1914-1918…

A l’instar de Gustave Le Rouge, précédemment rencontré, ce qui étonne chez Paul d’Ivoi c’est son aptitude à mettre en scène la science et l’ésotérisme le plus débridé, l’engin à vapeur du docteur Mystère et ses pouvoirs brahmaniques… (La fin du 19ème siècle était férue de culture orientale et indienne, ne l’oublions pas…).

Paul d’Ivoi a exploité le succès des voyages extraordinaires de Verne en créant les voyages excentriques, comme chez son maître sa fascination pour la modernité est mêlée d’angoisse et de peur : des engins volants sèment la mort par des nuages réfrigérants (les dompteurs de l’or, manipulation du climat (déjà….) dans Les Semeurs de glace, etc.….

Dans l’Aéroplane fantôme des Allemands menacent de voler les plans d’un avion spectaculaire capable de détruire tout sur son passage… Il faut signaler que ces ouvrages sont à remettre dans leur contexte historique sous peine de « pâmoison correctement politique… » les récits sont souvent nationalistes, à la limite du bellicisme, les méchants sont toujours soit des Allemands, soit des habitants de la « perfide Albion », les américains sont grossiers et matérialistes, et ne parlons pas des nations qui étaient qualifiées de « primitives » à l’époque… Mais loin du tumulte bien souvent très hypocrite de nos « modernes penseurs », il faut dire que l’époque se prêtait à ce genre d’écrit. Même mon inestimable Dickens s’est livré à cet exercice choquant pour nos sensibilités actuelles, souvenez-vous de ce redoutable portrait du vieux Fagin dans Oliver Twist… Il faut simplement nous dire que la littérature est comme la nature, elle n’est ni compatissante, ni cruelle, elle existe… Tout simplement… Et malgré le fait que ce soit devenu pratique courante, il ne faut pas enlever les mots de leurs contextes historiques sous peine de fausser l’histoire elle-même….

Alors retrouverons-nous un jour Lavarède ou le Docteur Mystère ? Peut-être bien par le biais de ce genre particulier de Science Fiction qu’est le Steampunk… Dans une limite restreinte, le Steampunk n’est qu’une imitation de l’anticipation du 19ème siècle et une mise en scène de gadgets technologiques anachroniques, exercice de style mêlant des personnages historiques réels et des héros de romans populaires… L’époque ne s’y prête peut-être déjà plus… Avec notre manie de vouloir tout expliquer, n’avons-nous pas tué la poésie du fantastique ? Brian Aldiss qui a revisité le mythe de Frankenstein dit que la science en privilégiant l’intellect a assassiné les anciens mythes. Se faisant, elle a créée ses propres mythes en les fondant non sur l’être mais sur la raison scientifique agissante. En voulant contrôler trop, nous avons perdu le contrôle de nous-mêmes… Mais ne nous éloignons pas trop… Il nous reste les brocantes à chimères et leurs innombrables secrets…

Mon butin sous le bras, je repousse le bec de canne du « Goncourt Capharnaüm », dans la douceur de l’après-midi je m’éloigne lentement, avec dans les oreilles le son aigrelet, le tintement éternel d’une clochette de légende…



Amitiés

Pascal Dufrénoy, chaland perpétuel de la brocante aux chimères.images

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